Joël Andrianomearisoa

Joël Andrianomearisoa

En premier lieu, se perd le regard. Ne sachant par quel fil l’aborder, il s’égare dans l’espace de l’œuvre, champ insaisissable, ouvert à la mode, l’architecture, la photographie et la vidéo . C’est dans l’alchimie de ces croisements combinatoires, que naît l’œuvre de Joël Andrianomearisoa.

Chez lui, tout devient matière.

Dans L’étrange, l’artiste filme la nature jusque dans ses moindres frémissements. Il en révèle l’étrangeté sans la dire et la livre au regard comme un premier jour. Elle emplit l’espace et happe le corps-mémoire qui y surgit. Intrusif et secret, il caresse et fouille les entrailles de la matière végétale qui s’offre à lui. Aux heures bleues de la nuit, les flammes qu’il provoque dessinent le présent dans le noir.


S’il fallait trouver un fil conducteur à son oeuvre, le temps et le corps en seraient les poétiques vecteurs. « La seule chose qui m’importe c’est de faire avec le temps. Et ce qui m’angoisse le plus, c’est de n’être jamais dans le temps, d’être dépassé. Ma manière de répondre à ce défi, c’est d’être en permanence à contre-courant ». L’œuvre de Joël Andrianomearisoa intrigue parce qu’elle se construit – à contre temps - dans le mouvement. Elle se positionne dans un va et vient entre l’affirmation et la négation. Construire/déconstruire, habiller/déshabiller, remplir/vider, froisser/plier, éclairer/éteindre : l’artiste se situe dans l’entre deux de ces oppositions qui chez lui se combinent plus qu’elles ne s’affrontent. Dans ces étreintes paradoxales, l’œuvre prend sens, offrant une infinité de propositions.


Les couleurs du noir

Pierre angulaire de son œuvre, le noir est omniprésent dans sa démarche.

Loin d’être monochrome, il est pour lui à la fois une et mille couleurs. Ce parti pris du tout noir, relève d’un défi permanent qui pousse l’artiste à réinterpréter la couleur inscrite dans une démarche sans cesse renouvelée. Selon les matériaux, les compositions, les différents angles d’éclairage choisis, le noir déploie dans ses créations une infinité de nuances.

« Pour moi c’est un défi. Dans chaque pièce, je dois trouver différentes couleurs, postures du noir. Ce n’est pas seulement la couleur, c’est une attitude qui n’exclut pas le reste. Elle tend vers l’universel. Le noir intrigue, dérange, mais il est présent et fait sens partout ».

Si le noir peut renvoyer à une certaine idée de l’austérité et du minimalisme, il donne à l’artiste la liberté de déconstruire, de déstructurer l’édifice de l’œuvre. Le noir ouvre l’œuvre et lui donne la liberté de l’exubérance.


L’étoffe des songes

Depuis ses débuts, Joël Andrianomearisoa a fait du textile un élément récurrent de son oeuvre. Parce qu’il en dégage tous les possibles, il lui donne une polyphonie qui devient langage. Nous sommes dans le langage de la matière qui se laisse fragmenter, plier, froisser, mélanger. La diversité et la superposition des tissus mis en scène dans ses tapisseries, leur donne une densité architecturale qui évoque celle de la pierre.« J’aime la malléabilité du tissu qui permet toutes les combinaisons à travers le nouage, le tissage, le découpage, l’assemblage. Il est porteur d’un langage qui peut aller très loin ».



Sa récurrence pourrait faire écho au lamba, étoffe de tissu omniprésente à Madagascar. Il est vêtement le jour et couverture la nuit mais aussi linceul qui enveloppe les corps. La manière dont il est porté, la matière et le nombre de bandes qui le composent, indiquent la position sociale, l’âge, l’origine même de ceux qui le portent.


« La vie dans les plis »

Le travail de Joël Andrianomearisoa se situe toujours à la lisière des choses. Il n’aborde pas son œuvre de manière frontale, se situant au bord du désir de celui qui la découvre. Dans son travail, tout est finalement question de posture. Celle d’un artiste à l’écoute des palpitements de la vie, qui met en scène, plus généreusement qu’il n’y paraît, une manière d’être présent au monde, « dans le nu de la vie ».


L’espace urbain est celui qui l’intéresse le plus. Les bruits, les odeurs, les images, les éclairages, les mouvements incessants générés par la ville, habitent son univers sans l’emprisonner dans un espace géographique identifié. Ses images emmènent le spectateur vers un ailleurs qu’il n’attend pas. « J’ai besoin d’être surpris par les images. Il faut que la situation soit décalée. Je ne me considère pas comme un photographe. Je suis quelqu’un qui fait des images».

Pour les composer, l’artiste a besoin d’un cadre de départ. Commencent alors les expérimentations, les manipulations à travers lesquelles le projet se dessine. « L’œuvre naît de diverses manipulations qui me conduisent au résultat final. Quand je monte une installation, je n’imagine pas sa finalité. Je connais les éléments qui la composent mais c’est dans l’instant où je les mets en place que je redécouvre quelque chose". Et c’est là que l’œuvre prend sens ».

Là réside sans doute la virtuosité poétique de l’artiste, dans sa capacité à saisir l’instant substantiel dont nul ne sait quand il commence, ni quand il finit.


Dans le nu de la vie, titre d’un roman de l’écrivain français Jean Hatzfeld, éditions Le Seuil, Paris, 2002.

La vie dans les plis, titre d’un recueil de poèmes d’Henri Michaux, éditions Gallimard.

Virginie Andriamirado. 2008